mercredi 10 octobre 2012

Florilège


Les vertus de la foudre
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1998
 

La sexualité libre peut désormais se pratiquer sans qu’on envisage de subir les enfants ou de les craindre comme une punition, un châtiment au plaisir.

 

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On devient souvent ce que l’inconscient de nos parents veut pour nous, malheureusement. Et dans cet ordre d’idées, il paraît plus facile de fabriquer des monstres que des génies, des imbéciles que des artistes.

 

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Faire surgir à l’Etre ce qui, en dehors d’un vouloir, n’en proviendrait sinon jamais doit supposer des raisons, et plus spécifiquement de bonnes raisons. Lesquelles ? Je n’en vois pas. A bien réfléchir, je vois même plutôt des raisons de ne pas procréer que l’inverse.

 

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J’ai toujours été étonné de ces remarques faites sur mon refus de paternité comme une marque d’égoïsme caractérisé, quand nombre de ceux qui font des enfants les éduquent, disons plutôt les négligent ou les oublient dans leurs projets, en parangons d’égocentrisme.

 

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Nombre de pères ou de mères se comportent dans l’existence comme s’ils ou elles étaient absolument dépourvus de devoir, à l’endroit de leur progéniture.

 

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Je trouve plus égoïste de faire des enfants qu’on n’intègre pas dans ses projets de vie au quotidien, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, plutôt que de ne pas en faire.

 

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Des enfants pour son vieil âge, comme une poire pour la soif… De quoi pousser la chaise roulante qui nous mène à l’abîme, nos enfants aux commandes ! Plutôt mourir seul, dans une chambre d’hôtel, en n’infligeant rien à personne.

 

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Pourquoi fait-on des enfants ? Quand la plupart nagent dans la naïveté et l’inconséquence, agissent sans réfléchir, consentent à l’usage grégaire et social de leur libido, je ne parviens pas à me départir d’un souci interrogateur : pourquoi la paternité ? Quelles raisons à la maternité ?

 

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On peut vouloir une femme tellement femme qu’on n’aurait pas besoin, pour l’aimer, qu’elle devienne mère et nous fasse des enfants.

 

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La vie se réduit à la course qui nous conduit du néant dont nous procédons vers celui qui nous engloutit. L’éternité est pour lui seul. La vie passe en souffle. […] Et il faudrait nourrir cette farce ? Enrichir ce théâtre cruel comme si rien de tout cela n’était ? Il faudrait vouloir l’aveuglement, s’entretenir dans l’innocence, ne pas réfléchir, obéir aux caprices d’une libido impérieuse pour se donner l’illusion de lutter efficacement contre les triomphes perpétuels de la mort ?

 

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Je ne me sens pas de talent pour la dénégation ou la complaisance dans l’illusion, pour l’ivresse qui me ferait mettre mon énergie sexuelle au service de cette vaste entreprise de conjuration, impuissante, perdue d’avance, qui partout exige de la chair à cercueil comme d’aucuns veulent de la chair à canon.

 

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N’avoir pas d’enfants procède non pas d’une haine, d’un mépris de ce qu’ils sont, mais d’un amour trop grand à donner pour ce que permet le monde, trop étroit, trop vain, trop cruel.

 

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Remercier mes parents ? Sûrement pas. Les accabler non plus. Faire avec.

 

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Du moins, ne pas contribuer, par une génitalité complice du vaste mouvement entropique de l’univers, à perpétuer, pour ma part, l’éternité de la cruauté du monde et du destin d’un être que j’aurais arraché aux brumes du non-être où il n’a même pas à se trouver, à l’instant, pour être heureux – puisqu’il est au-delà, en deçà.

 

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Théorie du corps amoureux
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2000

 

Le libertin tel que je l’entends […] ne sacrifie aucunement aux mythologies et aux fantasmes familialistes de sa civilisation ; il ne parle pas d’amour, de foyer, de conjugalité, de paternité, de maternité.

 

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Les enfants, jamais à l'origine demandeurs de l'être plutôt que du rien, peuvent légitimement exiger de leurs géniteurs une assistance matérielle, certes, mais aussi psychologique, éthique, intellectuelle, culturelle et spirituelle pendant au moins les deux premières décennies de leur existence. Puisque la paternité et la maternité ne sont pas des obligations éthiques, mais des possibilités métaphysiques, le désir de mettre au monde doit impérativement se soutenir par une capacité et une volonté délibérées de rendre leur existence la plus digne possible.

 

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Dans une logique hédoniste, on évite d’infliger quoi que ce soit, y compris l’existence, à qui ne l’a pas demandé.

 

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Si l’on a tout de même obéi aux impératifs de l’espèce et consenti aux lois de la nature et de l’instinct, on s’obligera à faire de sa propre existence une moindre priorité en regard de ses enfants. Leur jouissance passe d’abord.

 

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D’aucuns fustigent le prétendu égoïsme des abstinents en matière de procréation. Ils oublient que leur conformisme familialiste relève des mêmes lois de l’intérêt personnel bien compris que, chez d’autres, le renoncement à la paternité et à la maternité.

 

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Les stériles volontaires aiment tout autant les enfants, voire plus, que les reproducteurs prolifiques. Quand on lui demande pour quelles raisons Thalès de Millet s’abstient d’une descendance, il répond : « Justement par amour pour des enfants ».

 

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Je ne saurais assez préciser combien il faut effectivement ne pas vraiment aimer sa progéniture pour la destiner au monde tel qu’il fonctionne avec ses hypocrisies, ses fourberies, ses mensonges, sa négativité, avec son cortège de douleurs, de peines, de souffrances et de maux.

 

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Qui trouve le réel assez désirable pour initier son fils ou sa fille à l’inéluctabilité de la mort, à la fausseté des relations entre les hommes, à l’intérêt qui mène le monde, à l’obligation du travail salarié, presque toujours pénible et forcé, sinon à la précarité et au chômage ?

 

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Quel parent assez naïf, niais et demeuré, peut aimer à ce point la misère, la pauvreté, la maladie, le dénuement, l’indigence, la vieillesse, le malheur qu’il les offre à sa descendance comme un destin inévitable mais toutefois désirable ?

 

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Quel adulte assez cruel destinera dès la naissance ses enfants au labeur, à la discipline, à l'obéissance, à la soumission, à la frustration que lui préparent la crèche, l'école, le collège, le lycée, naguère la caserne, puis l'usine, l'atelier, l'entreprise, le bureau ? Il faudrait appeler amour cet art de transmettre pareilles vilenies à la chair de sa chair ?

 

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Mettre un être au monde, c’est fournir immédiatement au social son carburant, son énergie.

 

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Lorsque deux êtres copulent et communient dans la parturition, ils obéissent inconsciemment et d’abord au programme naturel des instincts et des pulsions. Tout autre discours sur ce sujet relève de la littérature destinée à masquer les misères et la cruauté de cette évidence.

 

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L'apparition des enfants signe sans appel la disparition de l'autonomie et de l'indépendance des partenaires qui les décident.

 

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Le contrat culturel et hédoniste des célibataires manifeste une opposition radicale avec la pulsion naturelle et communautaire des familialistes.

 

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La somme – indéniable – des déplaisirs générés par le fait d’avoir des enfants dépasse de beaucoup la somme – indéniable – des plaisirs qu’ils procurent.

 

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La puissance d'exister.
Manifeste hédoniste
-
2006

 

La figure du célibataire va de pair avec une réelle métaphysique de la stérilité volontaire.

 

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Un enfant à charge (l’expression convient à ravir…)

 

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La possibilité physiologique de concevoir un enfant n’oblige pas au passage à l’acte – tout comme le pouvoir de tuer ne génère en rien le devoir d’accomplir un homicide. Si la nature dit : « Vous pouvez. », la culture n’ajoute pas forcément : « Donc vous devez. » Car on peut soumettre ses pulsions, ses instincts et ses envies à la grille analytique de la raison.

 

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Pourquoi faire des enfants ? Au nom de quoi ? Pour en faire quoi ? Quelle légitimité a-t-on pour faire surgir du néant un être auquel on ne propose, in fine, qu’un bref passage sur cette planète avant retour vers le néant dont il provient ?

 

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Engendrer relève pour beaucoup d’un acte naturel, d’une logique de l’espèce à laquelle on obéit aveuglément alors que pareille opération métaphysiquement et réellement lourde devrait obéir à un choix raisonnable, rationnel, informé.

 

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Seul le célibataire aimant supérieurement les enfants voit plus loin que le bout de son nez et mesure les conséquences à infliger la peine de vie à un non-être.

 

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Est-elle si extraordinaire, joyeuse, heureuse, ludique, désirable, facile la vie qu’on en fasse cadeau à des petits d’homme ? Faut-il aimer l’entropie, la souffrance, la douleur, la mort qu’on offre tout de même ce tragique paquet-cadeau ontologique ?

 

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L’enfant qui n’a rien demandé a le droit à tout, surtout à ce qu’on s’occupe de lui totalement, absolument.

 

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L’éducation n’est pas l’élevage – ce que supposent ceux qui parlent d’élever des enfants. Mais l’attention de chaque instant, de chaque moment. Le dressage neuronal nécessaire à la construction d’un être ne tolère pas une seule minute d’inattention. On détruit un être avec un silence, une réponse différée, une négligence, un soupir, sans s’en apercevoir, fatigué par la vie quotidienne, incapable de voir que l’essentiel pour l’être en formation se joue non pas de temps en temps mais en permanence, sans répit.

 

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Il faut beaucoup d’innocence et d’inconséquence pour s’engager dans l’édification d’un être quand souvent, très souvent, on ne dispose pas même des moyens d’une sculpture de soi ou d’une construction de son propre couple dans la forme appropriée à son tempérament. Freud a pourtant prévenu : quoi qu’on fasse, une éducation est toujours ratée. Un regard sur la biographie de sa fille Anna lui donne ô combien raison !

 

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L’enfant obtenu dans une famille attache définitivement le père à la mère. Monsieur de La Palisse confirme : un homme (ou une femme) peut cesser d’aimer sa femme (ou son mari), elle (ou il) reste néanmoins et pour toujours la mère (ou le père) de ses enfants. La confusion de la femme, de la mère et de l’épouse – idem avec l’agencement homme père mari – dans le couple classique provoque d’irréparables dommages pour les enfants une fois cet agencement délité.

 

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L’engendrement agit en nouveau piège pour empêcher l’éros léger et condamner à la lourdeur d’une érotique au service de plus qu’elle, à savoir la société.

 

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Il n’y a pas, comme je l’entends souvent, une alternative qui oppose l’égoïsme des refuseurs d’enfants à la générosité partageuse des couples tout entiers dans l’abnégation, mais des êtres qui trouvent leur intérêt, de part et d’autre, à agir comme ils le font. L’égoïsme de géniteurs qui suivent leur pente vaut bien l’égoïsme de qui choisit la stérilité volontaire. Je crois pourtant que seul un réel amour des enfants dispense d’en faire

 

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Pour aller plus loin
dans la remise en question radicale
du dogme familialiste :
 
Théophile de Giraud : Manifeste anti-nataliste
Roland Jaccard : Le cimetière de la morale
Corinne Maier : No kid : quarante raisons de ne pas avoir d’enfant
Michel Tarrier : Faire des enfants tue : éloge de la dénatalité